Je suis collectionneur
Texte publié originalement au Hockey Herald - le jeudi 29 avril 2021
École de l’Auberivière, Lévis, 1986.
Les filles jouent à la corde à danser ou à l’élastique. De toute façon, je m’en fous. Je suis en première année et les filles? Beurk!!! La plupart des garçons autour de moi jouent quant à eux au ballon, courent et crient comme s’il n’y avait plus de lendemain. Bref, c’est un jour d’école comme les autres. De mon côté, j’attends sagement avec mes amis l’entrée en classe, que nous espérons tous la plus tardive possible, même si nous savons que le moment fatidique est pour arriver, incessamment.
En attente du tintement du glas, mes amis et moi avons beaucoup mieux à faire. Les additions et l’écriture cursive peuvent attendre, car tous mes sens sont sur le qui-vive. Bien logées au creux de mes poches, mes mains tiennent doucement mais fermement le petit emballage ciré que je viens de me procurer à la Tabagie Tremblay. Douce escale sur le chemin de l’école.
J’y suis. C’est le moment que j’attendais enfin. Je le sors de ma poche et mon regard fixe l’objet de convoitise et mes amis, attroupés autour de moi, me supplient de l’ouvrir au plus vite. Mes mains obtempèrent sans que je ne résiste, car je veux leur montrer ce que j’ai «pogné».
Tous mes sens s’excitent. Ma tête anticipe et part en vrille, l’adrénaline dans le plafond… Mario Lemieux, Peter Stastny, Wayne Gretzky… Qui sait ce que me réserve cette petite pile de feuilles de carton poudrées de poussière de sucre provenant de la gomme balloune qui trône sur le dessus de cette même pile? Mes pupilles se dilatent et contemplent ce que j’y vois: Mario Lemieux!
À cette époque, je me foutais que ce soit sa première ou sa deuxième carte, je n’étais pas encore un collectionneur avisé: c’était pour moi Mario le Magnifique, simplement, au creux de ma main.
Voilà mon plus ancien souvenir que j’ai du monde des cartes de hockey. Je paierais cher pour revivre cette précieuse matinée.
AVERTISSEMENT:
LE PASSAGE QUI SUIT CONTIENT DES SCÈNES QUI POURRAIENT CHOQUER LE COLLECTIONNEUR EN VOUS. JE PRÉFÉRAIS VOUS EN AVERTIR.
La jeunesse amène son lot d’expériences et d’apprentissages. «D’erreurs», disons-le.
Le hockey, on en mangeait. Quand on ne s’achetait pas de cartes de hockey, on y jouait dans la rue ou à la patinoire, sinon, on parlait de la partie des Nordiques du samedi soir, ou encore, on se répétait sans cesse des scènes et des répliques de la série Lance et Compte. Premiers sacres et premières paires de fesses vue à la télé (rires de gamin).
Voici donc la macabre scène. Mon ami et moi sommes assis par terre, face à face, de part et d’autre du long couloir du sous-sol.
Musique de tension, saccadée, style Psycho.
Nous poussons la rondelle noire du jeu de hockey sur table dans des buts placés au sol… avec nos cartes de hockey… sur le tapis commercial rugueux!
Allègrement, passionnément et violemment, la victoire y est âprement disputée. Ça travaille fort dans (sur) les coins Il n’y a pas de prix pour gagner la mini-coupe Stanley en plastique (dont l’effet chromé commence à faire défaut). Il faut souffrir pour gagner, quitte à jouer blessé!
Plusieurs éclopés ont joué durant cette série intense:
Aujourd'hui, je n'ai plus les cartes de Patrick Roy et de Mario Lemeuix, elles ont fini je ne sais où (même «maganées», j'aurais bien aimé les avoir encore).
Mario Lemieux RC (1985-86): blessé aux coins supérieur droit et inférieur gauche.
Joe Sakic RC (1989-90): blessure gardée secrète. Haut de la carte.
Patrick Roy RC (1986-87): amputation de la partie inférieure droite.
Il y a des drames pires que d’autres, disons-le.
Seule question qui me reste en tête trente-cinq ans plus tard: où étaient les Dave Babych, Ken Daneyko ou encore Al Secord quand j’avais besoin d’eux! Chose certaine, si j’avais à refaire mon line-up pour remporter la p’tite coupe de plastique, il serait bien différent aujourd’hui!
Outre la naissance de mes enfants et le jour où j’ai rencontré ma conjointe, tous ces souvenirs racontés plus haut sont de ceux que je chérirai pour toujours. Bons et moins bons, ils font de moi ce que je suis.
Aujourd’hui, grâce à la COVID-19, j’effectue donc mon retour au jeu après plusieurs années à l’écart.
Je suis collectionneur.